En yoga, on en vient assez rapidement à confronter idéal et réalité. Selon les pratiques, les démonstrations du professeur sont plus ou moins importantes. Il y a aussi les corps des autres élèves. On peut alors, souvent malgré soi, se comparer aux autres. Le « singe » (l’esprit) peut se mettre en route : ce que je fais, c’est nul, les autres ont beaucoup d’expérience, combien de temps me faudra-t-il pour y arriver… C’est d’ailleurs pour atténuer cet aspect de la pratique que certaines personnes font le choix du cours particulier. Pourtant, le yoga doit conduire à accepter don corps dans sa réalité. Et voici pourquoi…
Les aspirations à l’idéal
En tant qu’ancienne historienne de l’art, je ne peux entamer le sujet des proportions du corps sans évoquer L’Homme de Vitruve, cette célèbre illustration de Léonard de Vinci datant du XVe siècle, représentant des proportions idéales du corps humain inscrit à la fois dans un cercle dont le centre est le nombril, et dans un carré dont le centre se situe au niveau des organes génitaux. Mais la symétrie relève de la seule représentation artistique. Elle n’existe pas dans le corps humain. On sait par ailleurs que les canons de beauté évoluent au gré des époques. Au-delà de certaines aspirations humaines à l’idéal, qu’en est-il de la réalité de la proportion de notre corps dans la pratique du yoga ?

Les réalités du corps et le yoga
Dans la pratique du yoga, nous réalisons rapidement que chaque corps est unique. C’est une chose de le savoir, c’en est une autre de l’expérimenter. Selon les cas, les proportions favorisent ou au contraire limitent la prise de posture, voire rendent la réalisation de certaines postures véritablement impossible.
Mais la pratique du yoga nous conduit à considérer les choses pour ce qu’elles sont. Et il est bien plus enrichissant de considérer les variations corporelles, non pas comme des obstacles, mais plutôt comme des occasions de considérer notre individualité.
Dans ma pratique du yoga, il est souvent question de géométrie. Dans le dessin de Léonard de Vinci, l’homme est à la fois inscrit dans un cercle et un carré, deux figures géométriques parfaites qui symbolisent ici l’harmonie universelle. Dans la posture du triangle, on est attentif à aligner les deux bras ensemble et à les placer perpendiculaires au sol. La mesure des pas se fait par rapport à sa propre coudée (longueur de l’extrémité du poing fermé jusqu’au coude).
De nombreuses traditions, y compris celle du yoga tantrique, considèrent le corps humain comme un microcosme qui reflète l’ordre et l’équilibre du macrocosme. La pratique du yoga nous conduit aussi à dépasser ce qui rend notre corps unique, avec ses proportions propres, pour atteindre une forme de « perfection » qui n’a toutefois rien à voir avec ce que certains qualifient de “Photoshop yoga” ou d’ “Instagram yoga” -pour faire référence à des images lisses où l’apparence prime sur la sensation, où les canons de beauté en cours dans nos sociétés prennent le pas sur la réalité que l’on peut observer-.

Acceptation et lâcher-prise : le yoga comme miroir de la vie
Le yoga est connu pour être une pratique d’acceptation et de lâcher-prise. Il nous enseigne à travailler avec ce que nous avons, à accepter nos limites et à nous réjouir de ce que l’on peut faire parce qu’indirectement, nous célébrons le fait d’être tout simplement en vie.
Mais ce vécu est là pour nourrir le quotidien. Ce que l’on apprend sur le tapis doit résonner dans notre vie en dehors du tapis. Tout comme nous ne pouvons pas changer nos proportions corporelles, nous ne pouvons pas contrôler tous les aspects de notre vie. C’est notre réaction aux circonstances qui compte.
C’est un passage obligé : naviguer entre une aspiration à la perfection qui peut travailler dans les profondeur de notre être (différemment d’ailleurs selon la personnalité – cf. l’ennéagramme) et les réalités du corps. Par exemple, des jambes plus longues que la moyenne peuvent rendre difficile une posture qui nécessite une flexion profonde des hanches, comme la posture du Pigeon (Eka Pada Rajakapotasana). De même, qu’un torse plus court peut avoir du mal à atteindre une forte extension dans la posture du Cobra (Bhujangasana).

La posture intérieure : au-delà du cadre physique
Sur le tapis, en réalité, la véritable posture est intérieure. Les asanas ne sont pas une fin en soi, mais des outils pour cultiver l’attention, la présence et l’équilibre intérieur. Ils créent un espace d’exploration pour la respiration, les sensations, les pensées et les émotions.
Aussi, les variations corporelles ne devraient pas être vécues comme des entraves. On ne peut pas nier qu’elles peuvent créer de la frustration (je n’y arriverai jamais) ou de la nostalgie (quand j’étais jeune…). Mais elles doivent plutôt être considérées comme des opportunités pour comprendre notre individualité et cela, c’est sans doute souvent le plus difficile, sans jugement.
En yoga, il ne s’agit pas de se conformer à une image idéale, mais plutôt de découvrir son propre chemin vers l’équilibre et l’harmonie. Mais dans nos sociétés de l’apparence, il est difficile de résister à cet appel de la prouesse physique. Avec nos corps, nous pouvons pourtant atteindre une forme d’idéal qui est la paix intérieure. Notre corps, fruit d’une histoire individuelle (une histoire faite d’inné et d’acquis), peut être considéré comme un véhicule pour traverser la vie qui nous a été donnée. Et tous les corps, par le travail du yoga, peuvent emmener vers la paix intérieure.