Petite histoire du yoga : pourquoi et comment le yoga est-il arrivé jusqu’à nous ?

S’intéresser à l’histoire du yoga, identifier la nature des différents regards qui ont pu se poser sur les Indes est très éclairant. Cela permet de prendre du recul par rapport à certains discours assénés aujourd’hui par différents chefs de file, et de mieux faire la part de ce qui nous est dit. Le fait que le yoga constitue aujourd’hui une pratique qui répond bien aux aspirations de nombreux contemporains est le fruit d’une dynamique historique. En voici les principales étapes.


Les rapports en Orient et Occident

Orient et Occident ont régulièrement été en contact l’un avec l’autre, et cela depuis longtemps. Alexandre le Grand, roi de Macédoine, dans l’optique de conquérir l’Inde, soumet une partie du Pendjab en 327 avant notre ère, et progresse jusqu’au fleuve Indus. Les portes de l’Inde s’ouvrent ainsi aux Occidentaux et des relations commerciales se mettent en place entre l’Europe et le sous-continent indien, par voie terrestre et maritime.


Les échanges s’amplifient au Ier siècle de notre ère, avec l’emploi d’une route commerciale passant par la Mer rouge et l’Océan indien, après la conquête de l’Égypte par les Romains. Les échanges culturels se concrétisent à travers l’art gréco-bouddhique -appelé aussi art du Gandhara-, qui voit naître les premières représentations du Bouddha sous l’apparence d’un homme. L’argenterie et les pièces d’ivoire romaines de la même époque, ainsi que les tissus égyptiens de coton et de soie, font également apparaître des influences indiennes. Rappelons que c’est aussi par le biais de ces échanges réguliers que le Christianisme s’est répandu en Inde.


En 1600, à la fin du règne de l’empereur moghol Akbar, le Royaume-Uni fonde la Compagnie britannique des Indes Orientales. C’est le début d’une implantation qui évolue vers la domination politique. En 1818, les Britanniques s’installent plus complètement en Inde, y développent le chemin de fer et le télégraphe, ainsi que la culture du coton, du jute et du thé. Ils tentent aussi d’imposer leur religion, sans succès. En 1858, la couronne prend le contrôle politique de la Compagnie des Indes orientales. Les postes clés de l’administration sont alors tous occupés par des Britanniques. Les réformes sociales un temps envisagées sont abandonnées et le gouvernement britannique cesse finalement d’intervenir dans les coutumes locales.


Si ce court résumé rappelle que les liens entre Orient et Occident ne sont pas nouveaux, cela ne parle pas encore de yoga et ne nous dit rien de la suite. Évoquons à présent une autre étape importante dans l’histoire du yoga.


L'intérêt des Romantiques pour l'Orient

Depuis la fin du XVIIIe siècle, l’Occident est travaillé par la quête de ses origines. Certains Occidentaux sont fascinés par la culture qu’ils découvrent aux Indes. S’inscrivant dans cette dynamique, Friedrich von Schlegel, appartenant au courant romantique allemand, apprend le sanskrit. L’Inde apparaît en effet comme un patrimoine universel dans lequel il est possible de puiser pour construire une “renaissance occidentale” (c’est d’ailleurs là-dedans que Hitler ira puiser son concept d’Aryens). Les Occidentaux se prennent à fantasmer cette partie du monde, perçue comme un monde immobile, préservé du modernisme tant rejeté par les Romantiques.


Eugène Burnouf publie en 1844 un ouvrage consacré au bouddhisme qui marquera profondément et durablement les intellectuels. Ses travaux influenceront le philosophe Schopenhauer (1788-1860). L’Inde exerce dans le paysage philosophique, une fascination générale au point que Roger-Pol Droit le qualifie de fils de l’Inde. Dans la décennie 1810 […], les chaires de sanskrit se multiplient dans les universités d’Europe presque aussi vite que les fantasmes indianophiles. Mais contrairement à bon nombre de ses contemporains, Schopenhauer ne s’est jamais donné la peine d’apprendre le sanskrit.

Les mots en “isme” tels que brahmanisme, hindouisme ou tantrisme, sont hérités des travaux de ces pionniers. Tout était à construire et ils ont forcément commis des erreurs d’interprétation. De leur côté, les Indiens ressortent meurtris par la présence anglaise qui, malgré l’emballement d’une partie de l’Occident pour leur culture, était essentiellement dévalorisant. Si les Indiens nourris de culture britannique sont bien décidés à réagir pour changer le regard porté sur leur culture, ils acceptent en attendant l’utilisation des “isme”.


Que s’est-il passé depuis ? Les études orientales des XVIIIe et XIXe siècles ont certes été discutées, ajustées voire corrigées au sein du milieu universitaire, et le sont bien sûr encore aujourd’hui. Mais beaucoup de notions restent, pour le grand nombre, empreintes d’inexactitude sans parler d’ésotérisme. L’actualisation des connaissances est longue à faire et beaucoup de discours datés sont encore repris aujourd’hui (comme cela a longtemps été le cas concernant l’huile bouillante versée sur les assaillants d’un château, anecdote fausse désormais absente des discours de visites). Les scientifiques ont une audience assez faible auprès des professeurs de yoga, peut-être d’abord parce que les premiers ne voient pas l’intérêt de vulgariser leurs connaissances auprès des seconds.


Quant à de nombreux professeurs de yoga, leur aspiration à recevoir un enseignement authentique, combiné parfois à une défiance envers les approches scientifiques, les conduit à préférer les discours des gurus indiens, mais sans forcément mesurer les distances historiques et culturelles qui les séparent. Enfin, pour compléter le tableau, on observe une tendance actuelle au rétrécissement du champ du yoga. Aucune formation n’est reconnue dans aucun pays (certaines certifications existent mais elles non plus ne valent rien, lire l’article d’une collègue sur Yoga Alliance). Les formations plus ou moins sérieuses se multiplient donc et désormais, on voit même des personnes non formées proposer des cours de yoga, comme des kinés ou des ostéopathes, sous prétexte qu’ils connaissent l’anatomie. Cela n’a de sens que si l’on considère le yoga que comme une gymnastique. Mais après tout, c’est l’origine de sa diffusion en Occident. Poursuivons notre petite histoire du yoga…


Comment le yoga répond aux aspirations hygiénistes occidentales

Les préoccupations hygiénistes ont émergé au 18e siècle, nourries par différentes figures. Le père Jean-Joseph Amiot (1718-1793) en fait partie. Jésuite séjournant régulièrement à Pékin, il s’intéressa aux pratiques psychosomatiques des taoïstes et les introduisit en France. Autre acteur d’importance, le médecin écossais John Dudgeon (1837-1901) écrit en 1895 Kung fu or medical gymnastics, mettant en valeur la valeur hygiénique de ces pratiques. La préoccupation pour la santé et l’hygiène du corps ne cesse de se développer tout au long du XIXe siècle, sans doute en lien avec le développement de l’industrialisation. Mais ce qui est intéressant, c’est que si l’Occident capte ainsi de nouvelles façons d’appréhender le corps pour nourrir son approche médicale, cela aide en retour à la prise de conscience des pays d’origine de la valeur de leurs savoirs ancestraux.


En parallèle, en Suède, il n’y a pas de référence orientale mais ce qui s’y passe illustre la préoccupation d’apporter au plus grand nombre de personnes les bienfaits d’une pratique physique régulière. Pier Heinrich Ling (1776-1839) a contribué à l’émergence de nouvelles approches de la santé (souvent identifié comme père du massage suédois, cela semble toutefois faux car cette pratique n’apparaît pas dans son système de gymnastique médicale). Fils de ministre, il suit des études de médecines pour acquérir des connaissances anatomiques et physiologiques. Souffrant lui-même de rhumatismes, il faisait quotidiennement de l’exercice physique dont de l’escrime. Cela le conduisit à créer le Royal Gymnastic Central Institute en 1813.


Enfin, évoquons la création des Jeux olympiques modernes qui s’inscrit dans cette dynamique hygiéniste. Le XVIIIe siècle avait redécouvert les jeux de la Grèce antique, en lien avec le développement des fouilles archéologiques. Le XIXe tente de les faire revivre : jeux scandinaves en 1834, jeux olympiques de Zappas en 1859, jeux de Munch Wenlock en 1869. La démarche du français Pierre de Coubertin s’inscrit dans cette dynamique, tout en portant une attention particulière aux effets de l’éducation physique sur le façonnement des esprits.


Dans les 20 dernières années du XIXe siècle, George Beard identifie un nouvel état physique et psychologique : c’est la neurasthénie. C’est la première fois que l’on donne une importance significative à la fatigue et au surmenage, que ce soit la fatigue physique des classes laborieuses ou le surmenage intellectuel des classes moyennes et supérieures. Au point que c’en est devenu l’une des causes identifiées de la défaite de 1870. La fatigue devenait un sujet d’inquiétude social à laquelle il fallait trouver un remède.


Pédagogue imprégné par l’idéologie du progrès, Pierre de Coubertin veut donner à la France des âmes conquérantes à même de contribuer à la renommée de son pays dans le monde. Cette dimension différencie sa démarche de la gymnastique du Suédois Ling : le sport tel qu’il le conçoit dépasse les seules considérations de santé pour devenir un moyen de libérer les énergies des individus, tant sur le plan physique que sur le plan psychique. L’expression latine Mens sana in corpore sano tirée de la dixième Satire de Juvénal, traduite par « un esprit sain dans un corps sain » lui semble trop limitée pour rendre compte de son approche. Il crée donc une nouvelle expression latine : Mens fervida in corpore lacertoso, mot à mot « un esprit ardent dans un corps robuste ».


Dans ses discours, Pierre de Coubertin multiplie les parallèles entre corps et esprit, évoquant, par exemple, la “musculation morale de l’Homme”. Le sport est, pour lui, le seul moyen éducatif permettant d’associer des qualités opposées comme l’audace et la prudence, la confiance et la méfiance, la passion et la raison, pour atteindre à un équilibre de vie, associant de manière équilibrée corps, esprit et âme, rendant l’état de sagesse accessible au plus grand nombre.

Alors que de nombreux discours élaborés dans l’univers du yoga déplorent l’absence d’intérêt pour la relation corps-esprit dans la culture occidentale, cet exemple montre qu’il n’en est rien, et que c’est certainement cette approche fondatrice qui a en grande partie permis l’essor du yoga dans la culture occidentale (sans parler de nos philosophes antiques).


Et le yoga apparaît en Occident...

Nous n’allons pas ici faire la généalogie des maîtres indiens qui se sont succédés pour répandre le yoga en Occident. Aussi étonnant que cela puisse paraître à certaines personnes qui pourraient penser que les Indiens sont des gens qui n’ont aucune conscience géo-politique, il ne faut pas séparer le phénomène d’expansion mondiale du yoga d’un esprit de revanche nourri par les Indiens, meurtris par la colonisation britannique. Michel Angot, indianiste et sanskritiste français, chercheur indépendant associé du Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud qui a passé de longues années en Inde, a clairement identifié un projet indien de devenir référence spirituel du monde en utilisant le yoga. Ce n’est d’ailleurs qu’une partie d’un projet nationaliste plus vaste qui a conduit à passer des Indes à l’Inde. L’actualité montre régulièrement que ce projet est toujours à l’œuvre.


On peut donner un début à l’histoire moderne du yoga avec la fondation à Bombay en 1918 par Shri Yogendra du Yoga Institute, considéré comme le plus ancien centre de yoga du monde moderne. En 1919, Shri Yogendra part pour l’Amérique pour fonder le Yoga Institute of America à Bear Mountain, New York. Pui, jusqu’à son mariage en 1927, il ne cesse de parcourir le monde, enseignant le yoga, traitant des patients et recueillant des manuscrits sur le hatha yoga. Shri Yogendra s’est explicitement inspiré de la gymnastique féminine occidentale de son époque pour proposer un yoga actif sur la santé, tout en conservant quelques références aux textes anciens. Crée à Bombay, le rayonnement des recherches qui y sont menées ont un rayonnement international.


Swami Kuvalayananda était un chercheur et éducateur, principalement connu pour ses recherches pionnières sur les fondements scientifiques du yoga. Ses travaux ont commencé en 1920 et a publié le premier journal spécifiquement consacré à l’étude du yoga Yoga Mimamsa à partir de 1924. La même année, il fonde le Kaivalyadhama Health and Yoga Research Center à Lonavla. Il a eu une profonde influence sur le développement du yoga en tant qu’exercice. Il a certainement mieux compris que quiconque la nécessité d’apporter des preuves scientifiques pour l’Occident baisse sa garde vis-à-vis de la pratique du yoga.


Citons encore Krishnamacharya qui, dans les années 30, met en place une pratique dynamique qui deviendra la base des variantes en vogue actuellement comme le Power Yoga, le Vinyasa Yoga, le Vinyasa Flow Yoga, ainsi que toutes les variantes de modelage et d’entretien du corps qui se diffusent aujourd’hui.

Les médecins occidentaux se sont en retour montrés très intéressés par les démonstrations qui leur été faites. Pour ne citer qu’un exemple parmi de nombreux autres, le docteur Loren Fishman, directeur de l’institut de médecine et réadaptation à New York, a lui-même pratiqué le yoga auprès de B.K.S. Iyengar, confirmant l’intérêt de cette pratique pour les douleurs lombaires, l’arthrite et l’ostéoporose.


Ouverture contemporaine

Avec cette petite histoire du yoga, nous souhaitions d’abord identifier les grandes dynamiques qui ont permis l’émergence du yoga en Occident. Cela permet également de comprendre pourquoi le yoga est une pratique qui ressemble le plus souvent à une gymnastique, le yoga moderne s’étant lui-même nourri de gymnastique occidentale.


Je fais partie de ces professeurs qui ont été formés sur 4 ans, durée qui permet notamment de passer d’une compréhension anatomique intellectuelle à une compréhension proprioceptive : c’est bien de l’expérience que je transmets. Cette approche va dans le sens de quelque chose de plus qu’une simple gymnastique. Mes élèves ne sont pas invités à reproduire de façon mécanique un mouvement mais à le former à partir de la respiration, voire même du souffle (qui est l’approche énergétique de la respiration, voire mon ebook). Cela change beaucoup de choses et augmente les bénéfices. Entre autres choses… 🙂


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